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Minh Tran Huy a bien écrit «la Double vie d'Anna Song» - Entretien

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Minh Anna.jpgLe deuxième roman de Minh Tran Huy, la Double vie d'Anna Song, s'inspire - elle n'en fait pas mystère - d'une histoire vraie de « plagiat » musical : une pianiste connaît une célébrité posthume usurpée puisque sa discographie se révèle composée d'interprétations empruntées à d'autres. Sur BibliObs, un commentateur avisé, Philippe Perrier, a mis en évidence ce que l'auteur de la Princesse et le pêcheur cache entre les lignes : un tissu référentiel serré, des hommages aux écrivains qu'elle révère, des citations de sources savamment retournées...

 


 

Aliette Armel -Comment réagissez-vous à l'article de Philippe Perrier ? Quel effet cela vous fait-il de vous voir ainsi « démasquée » ?

 

Minh Tran Huy - J'ai trouvé l'article très fin, et l'ai lu avec intérêt. Je ne me suis pas sentie « démasquée », mais comprise : je me demandais si quelqu'un choisirait cet angle du plagiat comme thème et comme procédé littéraire, même si j'avais laissé quelques indices y invitant. Ainsi de cette liste, située à la fin du roman, des articles véritablement issus de l'affaire Joyce Hatto, auxquels j'ai emprunté des opinions, des formules, des perspectives (souvent en les détournant, voire en les retournant).

 

Pour tout vous dire, j'avais initialement prévu de les mettre en ligne sur un site qui apparaît en toutes lettres dans la Double vie d'Anna Song, « www.derriereannasong.com », comme étant celui où sont répertoriés les véritables pianistes dont Anna s'est approprié les interprétations. J'avais dans l'idée d'y référencer chaque papier « authentique » et chaque emprunt, une façon d'éclairer les coulisses de l'élaboration du roman tout en offrant un joli effet de miroir... Et puis j'ai renoncé, par manque de temps d'abord, parce que la décision de placer la liste en conclusion du roman ôtait de l'intérêt au site ensuite, et enfin parce que je me suis rappelé une remarque de Jean Echenoz expliquant qu'il se méfiait des systèmes trop bien huilés. L'excès de cohérence a quelque chose de desséchant.

 

A. Armel -Alors que vous n'avez encore publié que deux romans, on peut déjà déceler dans votre travail romanesque des renvois d'un texte à l'autre. Pas sous forme de personnages intervenant dans les deux histoires - les contextes géographiques et historiques sont trop éloignés - mais sous forme de références croisées. Comment cela  fonctionne-t-il ? Est-ce une démarche volontaire, une sorte de parti pris à résonance formelle ?

 

M. Tran Huy - C'est à la fois involontaire et volontaire. Certains auteurs, comme Patrick Modiano, sont semblables aux artistes sériels ; d'une manière ou d'une autre, ils ne cessent d'écrire et de réécrire le même livre. Mon « œuvre » est franchement trop limitée pour que je sois sûre d'en être, mais je sais que je suis quelqu'un d'assez obsessionnel - j'ai mes thèmes, des motifs que j'aime à reprendre, des marottes si vous voulez, sur lesquelles je prends appui pour construire ou plutôt composer un texte. Elles surgissent spontanément sous la plume, puis je les travaille, je les repense en fonction de ce que j'ai écrit auparavant de façon à créer un effet d'écho qui ait un sens. Les livres sont souvent autant de vies que nous n'avons pas vécues. Dans tel roman on aura pris l'embranchement de gauche, dans tel autre l'embranchement de droite...

 

A. Armel -Ces références sont souvent des hommages à d'autres auteurs. Philippe Perrier cite Duras. Mais pas Murakami. Et pourtant ! Il était un personnage de la Princesse et le pêcheur et il réapparaît dans la Double vie d'Anna Song.

 

Murakami_frontière.jpgM. Tran Huy - La Princesse et le pêcheurétait un hommage affiché à Haruki Murakami : le livre s'ouvrait sur une citation en exergue, la narratrice en parle comme de son auteur préféré, elle revient à plusieurs reprises sur le mono no aware (terme nippon désignant la « poignante mélancolie des choses », qui baigne la plupart des œuvres de Murakami), le roman s'achève sur une rencontre avec l'auteur d'Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil en personne. Cela dit, lorsque j'ai écrit la première version de ce texte, j'avais dix-huit, dix-neuf ans et je n'avais pas lu une ligne de Murakami, avec qui je me suis trouvé depuis tant de parentés... De même, Anna Song est modelée sur Joyce Hatto, évidemment, ainsi que sur un autre pianiste (qui vit toujours d'ailleurs), que je ne nomme pas, mais dont je me suis inspirée pour la dystonie du musicien et le traitement suivi pour guérir. Or récemment, mon frère, qui a quinze ans et à qui j'ai fait lire La Ballade de l'impossible, m'a fait remarquer que l'un des personnages était une pianiste dont la carrière se voyait brisée par une paralysie de la main, ce que j'avais complètement oublié...

 

Dans La Double vie d'Anna Song, l'hommage à Murakami est tout aussi appuyé que dans La Princesse, mais complètement souterrain ; il n'est nommé à aucun moment, mais il est partout présent. Ainsi, quand Paul [Paul Desroches, le narrateur deLa double vie d’Anna Song] fait allusion à une fable concernant une cité « peuplée de licornes dorées », il s'agit de la cité de La Fin des temps de Murakami - un roman « à deux voix », comme La Double vie - dont la lecture permet, si on y réfléchit bien, de deviner la chute de mon livre. Quand Paul retrouve Anna, elle est vêtue d'une robe de soie « midnight blue », la tenue d'un personnage féminin de La Ballade de l'impossible, mais également celle de l'héroïne d'Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil, et toutes trois ont bien d'autres choses en commun que cette robe, que je laisse volontiers le lecteur découvrir.

 

A. Armel -Est-ce une manière d'en finir avec Murakami ou au contraire, comptez-vous aller plus loin dans l'exploration de ce « compagnonnage » ou de cette « filiation » que vous entretenez avec l'auteur de Kafka sur le rivage ?

 

M. Tran Huy - Je ne sais pas si j'en finirai jamais avec lui, mais une chose est sûre, j'aimerais beaucoup me pencher sur la « filiation » proprement dite car elle m'intrigue beaucoup.

 

A. Armel -Dans la Double vie d'Anna Song, ce sont les sources, les articles de presse au sujet de la pianiste Joyce Hatto, qui apparaissent dans votre texte : les citez-vous, les transposez-vous, les transformez-vous ? Comment ressentez-vous le mot «plagiat» employé par Philippe Perrier ?

 

M. Tran Huy - Je cite un peu, je transpose beaucoup et je transforme encore plus. Parfois je fais faire à tel journal dans le roman une hypothèse contraire à celle qu'il a soutenue dans la réalité, par exemple. Ou bien je prends le ton d'un magazine qui dans la réalité n'a jamais parlé de Joyce Hatto... Le mot « plagiat » n'est pas du tout gênant dans l'article de Philippe Perrier. Il n'a pas ici de sens juridique (faut-il préciser que contrairement à Paul Desroches, je n'ai guère d'indulgence pour ceux qui dépouillent les autres de leur travail en général, et de leur art en particulier ?), mais désigne un système d'allusions et de références qui s'accorde à la fois avec le sujet du roman et ma vision de la littérature, que je conçois comme une sorte d'immense toile tendue par-delà le temps et l'espace, où chaque texte renvoie à l'infini à d'autres textes.

 

A. Armel -D'où vous vient ce mode opératoire référentiel ? De votre travail de critique ?

 

M. Tran Huy - J'ai une formation et un métier qui m'ont amenée à réfléchir en ce sens, sans doute. Mais je connais beaucoup d'autres écrivains qui fonctionnent ainsi, et qui ne sont pas critiques de profession. Et puis, comme je vous le disais, c'est moins un « mode opératoire » qu'un processus qui se fait naturellement, puis qu'on peaufine, parfois jusqu'à la mise en abyme.

 

A. Armel -Il y a par ailleurs chez vous un grand plaisir à raconter des histoires, que vous vous appropriez totalement, même quand vous vous inspirez de faits réels. Sentez-vous une tension entre votre goût du conte et votre passion pour le jeu référentiel ?

 

M. Tran Huy - Oui, il existe une tension, ou plutôt une dynamique que je trouve très stimulante. Ce n'est nullement contradictoire que de concilier une bonne histoire et un jeu formel et/ou référentiel. Pour moi, un roman doit pouvoir se lire à plusieurs niveaux, et sans qu'il soit besoin d'en posséder toutes les clefs. On peut aimer la Double vie d'Anna Song pour son intrigue et/ou sa construction sans rien connaître en musique classique ; ou si l'on est amateur, s'amuser des jeux avec l'histoire de la musique, les interprètes tantôt réels, tantôt imaginaires, les transpositions. On peut le lire sans avoir jamais parcouru aucune ligne de Murakami, ou au contraire comme un vaste jeu de pistes intertextuelles avec son œuvre. On peut le lire au miroir de mon premier roman, la Princesse et le pêcheur, avec lequel j'ai établi plusieurs passerelles, thématiques et autres, mais on peut parfaitement le lire indépendamment.

 

On dit souvent qu'il y a autant de livres que de lecteurs. Le cliché me semble très juste. Certains ont vu dans la Double vie d'Anna Song un livre sur la musique, d'autres ont jugé que la musique était un prétexte pour parler du Vietnam, d'autres encore ont été surtout sensibles à l'imposture et à ses prolongements... Dans tous les cas, j'étais d'accord : j'ai fourni la partition, à chacun de l'interpréter.

 

=>Minh Tran Huy a-t-elle écrit « la Double vie d'Anna Song »? (par Philippe Perrier)

 

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